Rarement Goris n'aura connu une telle effervescence, d'espoir et d'optimisme cette fois. Toutes pavoisées des drapeaux croisés de l'amitié de l'Arménie et de la France, les rues descendant au centre-ville annonçaient déjà la couleur. Les 2 et 3 juin officiellement, trois jours en fait, plus de 400 invités des deux pays - élus locaux, conseillers municipaux, départementaux et régionaux, diplomates et représentants ministériels, associations et partenaires de terrain - se sont retrouvés dans le Syunik pour les 5èmes Assises de la coopération décentralisée franco-arménienne autour d’une idée simple mais fondatrice : construire l’avenir par les territoires.
Si la coopération entre l’Arménie et la France est ancienne, ces assises, depuis quinze ans, lui apportent un souffle nouveau. Quelque cinquante partenariats, jumelages et associations entre collectivités locales irriguent aujourd’hui le pays, du Tavush au Syunik, du Vayots Dzor au Gegharkunik, de Gyumri à Erevan. Infrastructures, formation des jeunes et formation professionnelle, culture, agriculture, santé : les projets sont multiples, visibles, et souvent portés par des engagements humains très concrets.
C'était cependant la première fois depuis leur création en 2010 que ces Assises se tenaient en Arménie hors de la capitale. Tout un symbole de résilience et de résistance face aux menaces quotidiennement proférées par son belliqueux voisin, l'Azerbaïdjan, deux ans après qu'il a nettoyé le Haut-Karabagh de ses plus de 100 000 Arméniens. À quelques kilomètres du seul point de passage frontalier, Goris, justement, a constitué la première étape sur la route de leur exode forcé.
Le vice-ministre arménien des Affaires étrangères, Vahan Kostanyan, n'a pas manqué de rappeler, dans son discours d'ouverture, l’importance stratégique du Syunik, et de saluer la « dynamique des relations multisectorielles entre [les] deux pays ». L'ambassadeur de France en Arménie, Olivier Decottignies, lui a emboîté le pas : « Goris a toujours été un carrefour et elle redeviendra un carrefour. Notre présence ici est très significative. Les collectivités françaises et arméniennes parlent d’amitié, tout en intégrant désormais des paramètres stratégiques. Le fait même d’être aujourd’hui dans le Syunik montre clairement qu’un choix a été fait : celui de développer une coopération stratégique ».
Une conviction partagée par son homologue arménien à Paris, Arman Khachatryan, pour qui « la coopération décentralisée avec la France revêt un caractère stratégique pour l’Arménie ». En ligne de mire : la sécurité des régions frontalières, la résilience des collectivités, mais aussi le développement local et la consolidation démocratique. « Être un pays démocratique commence aussi au niveau local », a-t-il rappelé.
De fait, cette cinquième édition a mis en lumière les enjeux très actuels de cette coopération. Quatre ateliers ont permis des échanges approfondis sur des thèmes sensibles : soutien aux déplacés de force du Karabagh, développement économique, éducation et jeunesse, gouvernance locale et participation des femmes. Autant de champs d’action concrets, discutés dans un esprit de co-construction. « Ce que nous construisons ensemble, ce n’est pas simplement une amitié : c’est un véritable levier pour soutenir l’Arménie et œuvrer pour la paix », a insisté Olivier Decottignies.
Le rôle des collectivités a été salué par tous les intervenants. Fabrice Pannekoucke, président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, a estimé que « face aux menaces qui pèsent sur le Syunik, notre présence, celle des élus et de nos partenaires, est un signal fort. La coopération décentralisée est un acte de solidarité, de paix et d’avenir ». Sa région, fortement mobilisée aux côtés du Syunik, mène de front des projets en santé, formation et agriculture, en lien avec six communes jumelées (Vienne, Bron, Saint-Chamond, Le Puy-en-Velay, Montélimar, Mornant) et plusieurs institutions françaises.
Autre geste fort et nouveau symbole : l’ouverture d’une agence consulaire de France à Goris, inaugurée par l'ambassadeur et saluée par Gilbert-Luc Devinaz, sénateur et président du groupe d’amitié France-Arménie : « Une étape plus que symbolique dans la vision d’approfondissement des relations franco-arméniennes ». La consule honoraire n'est autre que Karmen Apunts, responsable du Centre francophone de Goris et de l'association Taraz, atelier solidaire d'insertion soutenu par le Fonds Arménien de France pour offrir un emploi à des femmes en grande vulnérabilité, notamment des réfugiées d’Artsakh.
En clôture, les délégués français ont visité plusieurs réalisations de terrain, expressions concrètes de cette coopération, dont deux infrastructures de santé à Goris, le centre cardiovasculaire et le centre de rééducation pour enfants, ainsi que le lycée agricole de Sisian, dont les plants fruitiers ont été fournis par le Fonds. Autant de jalons d’un partenariat tangible, humain et profondément enraciné. Plus culturelle et touristique, une excursion a mené certains jusqu'au monastère de Tatev, emblème de l’héritage historique et spirituel arménien.
Sonia Zdorovtzoff, adjointe au maire de Lyon et présidente du groupe-pays "Arménie" de Cités Unies France, cheville ouvrière de la coopération décentralisée en France, a résumé l'événement en ces termes : « Ces Assises montrent que la coopération décentralisée est bien plus qu’une technique. C’est une diplomatie des territoires, une diplomatie du respect ». En 2028, ce sera de nouveau le tour de la France d'accueillir les 6èmes Assises, à Grenoble précisément avec le soutien (à minima) du département de l'Isère. Mais d’ici là, dans les territoires d’Arménie, la coopération se poursuit "kamatz, kamatz", "pas à pas", mais résolument.