Ani Tanélian : « Je suis venue vivre cette identité et cette culture au quotidien »
[26 février 2025] - Propos recueillis par Achod Papasian

Il y a des gens pour qui l’identité est une expérience à vivre à chaque instant, comme la terre que l’on sent sous ses pieds. Originaire de Livry-Gargan (93), Ani Tanélian a fait le grand saut en s’installant en Arménie il y a trois ans, tout en gardant un lien avec la France où elle suit un Master International en Etudes Arméniennes (IMAS) à l’Inalco. Elle travaille également dans la gestion de projets pour Calfa, une entreprise française spécialisée en reconnaissance automatique de caractères qui œuvre à la préservation du patrimoine arménien.

Comment s’est construite votre éducation arménienne ?
Ani Tanélian : Ma mère est arménienne d’Arménie et mon père arménien de France, donc j’ai toujours grandi entre ces deux univers. Depuis que je suis petite, j’ai passé tous mes étés en Arménie ; d’abord, dans le village de mon grand-père, près d’Idjevan, puis dans le village de Byurakan où mes parents avaient acheté une maison, ainsi qu’à Erevan. En France, j’ai fréquenté l’école Tebrotzassère de la maternelle au collège et c’est par ce biais que j’ai fait l’expérience de la communauté arménienne. J’étais toujours un peu en décalage : à l’école, on m’appelait – gentiment – la Hayastantsi, car à l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’Arméniens d’Arménie dans les écoles, alors que maintenant, c’est quasiment l’inverse. A l’adolescence, je n’avais plus envie de parler arménien ni d’aller en Arménie, j’avais une sorte de rejet total de l’arménité.

Comment avez-vous renoué avec cette facette de votre identité ?
A. T. : J’ai décidé de me lancer dans des études d’arménien à l’Inalco. Avant cela, j’avais fait des études de russe, mais j’ai vite compris que je n’avais pas envie de partir en Russie et pour compléter ma licence, j’ai passé une L3 en didactique des langues. À ce moment-là, j’avais pour projet d’enseigner le français en Arménie. A Erevan, j’ai contacté l’Alliance française et j’attendais leur réponse pour savoir si j’allais rester. De retour en France, j’ai découvert que leur email avait atterri dans mes spams ! Au même moment, la guerre éclate et je la vis très mal, même si ce n’était pas une surprise pour moi qui connaissais la situation par le biais de ma famille. J’ai alors commencé à me documenter à la BULAC* pour mieux comprendre la situation géopolitique en Arménie. C’est aussi ce qui m’a poussée à me lancer dans le nouveau Master International en Etudes Arméniennes, entièrement en arménien.

Ani Tanélian : « Je suis venue vivre cette identité et cette culture au quotidien »
Ani Tanélian : « Je suis venue vivre cette identité et cette culture au quotidien »

Qu’est-ce qui vous a motivée pour venir vous installer en Arménie ?
A. T. : Je suis venue dans l’idée de vivre cette identité et cette culture au quotidien, et pour pouvoir parler arménien tous les jours. Car même si tu étudies l’arménien en France, même si tu es dans la communauté, tout est dans la préservation. Je n’idéalise pas non plus l’Arménie : je suis arrivée déjà désillusionnée, car en grandissant, j’ai appris à connaître la réalité du pays. Je suis consciente des difficultés, de la différence de mentalité, des obstacles pour trouver un travail... Mais la guerre de 2020 a fait que je ne me sentais plus bien en France. Le mode de vie ici me correspond plus. Je sens qu’il y a des choses à construire. Durant mon temps libre, j’ai commencé à apprendre le tissage de carpettes et de tapis. Et je me suis prise de passion pour la danse traditionnelle : les différences y sont un peu gommées et je sens que je fais partie du cercle.

Sur quels projets travaillez-vous au sein de Calfa ?
A. T. : J’ai intégré Calfa au moment où je me suis installée en Arménie, alors que l’entreprise essayait de s’y développer. Nos projets combinent l’intelligence artificielle et les sciences humaines pour numériser et extraire les textes en arménien, mais aussi en géorgien, syriaque, arabe, chinois, etc. Nous avons récemment traité les archives des moines mekhitaristes de Venise et menons différents projets avec la Bibliothèque scientifique fondamentale (FSL) de l'Académie nationale des sciences d’Arménie, ainsi que les Archives nationales. Nous organisons aussi des ateliers pédagogiques au centre TUMO d’Erevan pour apprendre aux élèves à développer leurs propres modèles d'intelligence artificielle et à les appliquer aux archives. À Paris, nous menons une « opération de sauvetage » de la collection de journaux de la librairie orientale Samuelian, en partenariat avec la FSL qui publiera les archives sur son site, et la Fondation Gulbenkian. Notre but est de rendre tout ce savoir accessible aux chercheurs, mais aussi d’améliorer l’accessibilité de l’arménien sur les outils numériques.

* La Bibliothèque universitaire des langues et civilisations de l’Inalco.

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