Bons plants pour les villages frontaliers
[23 août 2025] - Olivier Merlet

Afin de permettre aux populations des villages frontaliers d’accroître leur autonomie alimentaire, le Fonds Arménien de France a mis en place des opérations de distribution de plants de légumes et d'arbres fruitiers. Lancées en 2016 au Tavush, à partir de 2021 dans le Syunik, et de 2022 dans le Gegharkunik, ces actions connaissent un essor impressionnant. En quelques années, ce sont des millions de plants de légumes et des centaines de milliers de plants d’arbres qui ont été distribués. Mais d’où viennent tous ces plants et comment sont-ils produits ? Retour sur la genèse d’un processus bien rodé.
À l’origine, les plants de légumes et d’arbres distribués étaient achetés à des producteurs locaux. Afin de répondre à une demande de plus en plus importante, le Fonds Arménien de France, via sa fondation locale, HimnaTavush, a créé deux nouveaux centres de production, en appoint de ceux de ses fournisseurs traditionnels. Le premier dans la plaine de l’Ararat, et le second au sein de sa ferme de Lusadzor.

Au centre de production d’Hayanist le travail est dur mais la paye est bonne. Les employées peuvent espérer une rémunération deux fois supérieure au salaire moyen en Arménie.
Au centre de production d’Hayanist le travail est dur mais la paye est bonne. Les employées peuvent espérer une rémunération deux fois supérieure au salaire moyen en Arménie.

DES PLANTS SUR LA COMÈTE

Lorsque le projet de distribution de plants est lancé dans le Syunik, quelques semaines après la guerre de 2020, personne n'y croit vraiment dans les villages concernés. « Encore des promesses… Comment vont-ils faire ? Que vont-ils vraiment nous livrer ? ». C'était sans compter sur le travail et la détermination de l'équipe d'HimnaTavush. Il est vrai, cependant, que tout ne s'est pas déroulé aussi simplement qu'il n'y paraît aujourd'hui.
Le premier défi à relever consistait à sécuriser un approvisionnement able et régulier : trouver les bons fournisseurs, en quantité bien sûr, et surtout en qualité. Des appels d'o res sont lancés à destination des coopératives et des grands agriculteurs à travers tout le pays. Les premiers retours ne sont guère satisfaisants. La plupart rechignent à s'engager sur une quantité livrable - problèmes de capacité et de  compétence - et l'on s'aperçoit également que l’approvisionnement ne sera pas possible dans l'une des régions prioritaires du projet, celle du Syunik : il y fait trop froid, surtout dans le nord, à plus de 2000 mètres d’altitude.
Les recherches de fournisseurs se concentrent donc sur la plaine de l'Ararat, le grenier à grain et à fruits de l'Arménie, dont le climat plus clément autorise les meilleurs résultats. Après de nombreuses visites, un terrain sous serre de 5000 mètres carrés est repéré à Hayanist, tout 
près d'Etchmiadzine, en grande banlieue d'Erevan. Ses exploitants, Artak et Hermine Antonyan, un couple d'agriculteurs dans la force de l'âge, semblent présenter toutes les garanties exigées de sérieux professionnel et de fiabilité. Le contrat est signé.
Un an plus tard et sur les terres de la ferme d'HimnaTavush, à Lusadzor, le Fonds Arménien de France ouvre, en complément, sa propre pépinière. 300000 plants de légumes, et 10000 plants d'arbres fruitiers y sont produits chaque année, soit près de 10 % de l'ensemble des quantités distribuées. L'agronome du Fonds, Karine Barseghyan, est chargée de la supervision et de la surveillance des cultures sur les deux unités de production, ainsi que de la logistique et des tournées de distribution.

COMPÉTENCES, QUANTITÉ ET QUALITÉ

Entièrement dédiée à la culture des légumineuses, l'exploitation d'Hayanist peut employer, au plus fort de la saison, jusqu'à 60 ou 70 ouvrières, a airées de jour comme de nuit à cueillir et préparer les jeunes plants (les "plantules") avant leur distribution. Nombre d'entre elles sont réfugiées d’Artsakh; une voiture vient les chercher et les ramène où elles habitent désormais, dans les environs d'Etchmiadzine.
L'activité est saisonnière mais intense. 2,5 millions plants de différentes variétés sont produits tous les ans. En fin d'hiver, la terre est renouvelée et nettoyée de ses cailloux et impuretés pour être ensemencée courant mars. Les semences sont achetées auprès du Centre d'Etat arménien de production, qui en garantit la vigueur germinative. Fin avril, début mai, les premières pousses sont déjà prêtes à être ramassées. 
Il faut alors aller très vite pour les livrer sans attendre, faute de quoi la viabilité des jeunes plants pourrait être compromise.
D'une main habile et rapide, courbées au-dessus des rangs de poivrons, de tomates ou d'aubergines - des choux à l'automne - elles extraient délicatement les tiges les plus droites et les plus vigoureuses - tout ne pousse pas de façon uniforme - en prenant bien soin surtout de ne pas endommager les racines. Le travail est dur mais la paye est bonne : les employées peuvent espérer des journées à 15 ou 16000 drams (35 à 37,5 euros), deux fois plus que le salaire moyen en Arménie. 
Dûment triés, et véri és un par un, les plants sélectionnés sont ensuite conditionnés en bottes de 40 unités, les racines recouvertes d'une couche de terre très humide pour garantir leur bonne conservation le temps du transport, jusqu’à leur repiquage. La qualité et la bonne santé des plants cultivés sont régulièrement contrôlées au cours de la maturation; c'est une exigence contractuelle, les plants qui partent 
sont certi és. « On ne peut pas prendre le risque d'acheter 1000 plants d'arbres chez n'importe quel producteur et s'en laver les mains une fois qu'ils sont livrés », insiste Asmik Kévorkian, coordinatrice des projets pour HimnaTavush; «c'est un gros travail de vérification, mais il offre une double garantie : aux béné ciaires, de pouvoir travailler et récolter le fruit de leurs e orts, aux donateurs, de savoir que leur argent est bien employé ». Le projet ne se limite d'ailleurs pas à la seule distribution, puisque des cours de formation et un suivi des cultures chez les bénéficiaires sont régulièrement organisés dans les villages par des enseignants de l'Université agraire d'Erevan ou venus de France, mandatés 
par le Fonds Arménien.
HimnaTavush a donc convaincu les plus sceptiques et sa réputation n'est plus à faire dans les villages. Preuve : la demande est telle aujourd'hui, que tous les villages qui le souhaitent ne peuvent être livrés sur une même saison. Un budget de donation est attribué à chaque 
région et, en début d'année, l'équipe se réunit pour décider de combien, quoi et à qui distribuer, en prenant garde de n'oublier personne.

LES PLANTS DE LA FIERTÉ RETROUVÉE

Une tournée était organisée, le 6 mai dernier, dans quatre villages du Bas Tavush qui bordent la frontière azerbaïdjanaise. À Berkaber ce jour-là, tout comme à Voskepar, Baghanis, ou Kirants quelques heures auparavant, la camionnette d'HimnaTavush était guettée avec impatience. Sitôt les premiers cartons déchargés, les béné ciaires ont commencé à dé ler vers la maison communale. La place du village s'est animée d'un coup, discussions frétillantes, plaisanteries, éclats de rire… 36 000 plants ont été distribués ce jour-là et chacun est reparti chez lui avec sa part. Beaucoup de femmes, car ce sont souvent elles qui s'occupent du potager. 
« Lorsque tu leur tends les plants et qu'elles les ont dans la main, leur visage s'illumine et tu comprends tout ce que cela représente pour elles », commente Karine Barseghyan. Chaque plant bien soigné peut en e et donner de 3 à 7 kilos de légumes, selon les variétés. Suffisamment pour subvenir aux besoins d'une famille pendant six mois, légumes frais tout l'été et en conserve – fait-maison, bien sûr– à partir de l'automne. Des économies substantielles sur le budget familial sont ainsi réalisées.
 Le soutien moral et psychologique apporté à ces populations rurales, parfois isolées et sans emploi, est également incontestable. « L'aide humanitaire se présente souvent comme une forme de charité, ce qui n'est pas nécessairement reçu avec plaisir», reconnait ainsi Souren Kévorkian, directeur du Fonds Arménien de France et d'HimnaTavush. « L'intérêt de distribuer des plants d'arbres et de légumes, c'est notamment de permettre aux gens  de travailler et de se sentir ers et heureux de faire quelque chose d’utile et de pouvoir le montrer. C'est une très grande satisfaction ».

TOUTES LES ACTUS
APPEL AUX DONS
Merci pour votre Générosité
Grâce à vous nous pouvons agir chaque jour pour aider à la reconstruction de l’Arménie.